Macky Dembelé, coordonateur PDU : « l’Etat se propose de construire après 2020, des universités à Abengourou, Daoukro, Odienné et Dabou »
Entre 1990 et novembre 2010, les Gouvernements successifs ont engagé diverses actions, en vue d’accroître les capacités d’accueil des structures. Ainsi, l’Université Nationale de Côte d’Ivoire a été scindée, en 1992, en trois universités décentralisées : l’Université de Cocody, l’Université d’Abobo-Adjamé et l’Université de Bouaké. Puis le Programme de Décentralisation des Universités (PDU) a été initié en 1995, qui a permis la création de deux Unités Régionales d’Enseignement Supérieur (URES) à Korhogo et Daloa, la création en 1996 de l’Institut National Polytechnique Félix Houphouët-Boigny.
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Dembélé Macky, Coordonnateur du Programme de Décentralisation des Universités, a accordé une interview à notre rédaction pour faire le point de la décentralisation des Universités en Côte d’Ivoire et de mettre en exergue les problèmes liés à la dite décentralisation.
Monsieur le Coordonnateur vous êtes à la tête d’une structure nommée Programme de Décentralisation des Universités(PDU). Nous sommes tentés de vous de demander ce que c’est et quelle est sa mission?
Le PDU est une initiative du gouvernement ivoirien mise en place en 2014 pour accélérer le développement des investissements en milieu universitaire pour plusieurs raisons. D’abord l’effectif grandissant du nombre d’étudiants qui sollicitent les établissements publics pour faire leurs études supérieures. Aujourd’hui sur un effectif global d’environ 250 000 à 300 000 étudiants nous recevons chaque année en moyenne 80 000 à 100 000 nouveaux bacheliers dont près de la moitié est orientée vers le secteur privé. C’est un défi pour le gouvernement d’accueillir toute cette jeunesse pour la formation post-universitaire en vue de participer, en tant qu’acteurs économiques, à l’émergence économique que vise la Côte d’Ivoire à l’horizon 2020.
La deuxième chose, c’est qu’il faut rapprocher le système d’enseignement de la population cible, éviter que tout étudiant qui obtient son bac soit affecté sur Abidjan, ce qui crée une concentration sur l’université d’Abidjan.
Troisièmement, il s’agit de la politique, au sens noble d’aménagement du territoire, qui consiste à impulser le développement local à travers les capitales régionales en les dotant d’investissements forts. Une université qui s’implante dans une ville secondaire, c’est du personnel ( enseignants, l’encadrement technique, des étudiants, une nouvelle population qui arrive. Donc une nouvelle richesse qui est apportée à cette ville.
De 2014 à 2017, qu’est-ce qui a été fait?
Il s’agit d’un programme comprenant plusieurs projets en continu. Il a d’abord fallu faire une étude générale impliquant la programmation des besoins de cinq nouvelles universités plus la Ville universitaire d’Adiaké.
Il s’agissait de discuter avec tous les acteurs, d’identifier les besoins, les rationaliser, en faire des projets qui donnent lieu à des plans d’exécution avec pour principale caractéristique, une vision à long terme pour chacune de ces universités qui doivent atteindre 20 000 étudiants par université. Il s’agit de Korhogo, Daloa, Man, Bondoukou, San Pedro et Adiaké qui est une ville universitaire de 50 000 étudiants.
La première chose à faire, c’était cette planification au niveau général pour toutes ces universités. Une fois que celle-ci est faite, il faut définir des tranches de réalisation parce que les finances de l’Etat ne permettent pas de réaliser les travaux d’une seule université de 20 000 places en une seule tranche.
Il se poserait la question de la disponibilité des enseignants. Il faut donc aller par tranches, ce qui rend le projet réalisable au niveau des finances publiques mais également au niveau de la capacité du gouvernement à les doter d’enseignants et de personnels techniques.
Mais nous n’avons pas fait que réfléchir à une stratégie globale. Dans le même temps, nous avons agi dans le cadre d’un programme d’urgence que le gouvernement a mis en place consistant à faire l’extension des installations à Korhogo et à Daloa.
Nous sommes à l’étape de la livraison de toutes les infrastructures à caractère académique. Il s’agit de l’équipement des bureaux des enseignants et de l’équipement des amphithéâtres et salles de travaux dirigés (TD) qui ont été mis à la disposition de ces universités.
La deuxième phase qui est en cours concerne les équipements à caractère social pour l’hébergement, les restaurants, salles à manger et terrains de sports. A ce niveau, le gouvernement est confronté à quelques difficultés avec certaines entreprises qui ont été jugées défaillantes du fait de l’ampleur des marchés et les difficultés financières que ces entreprises ont rencontrées.
Les dispositions sont en cours pour résorber et relancer ces chantiers le plus rapidement à Korhogo, Daloa et Man. D’une manière générale, ce n’est pas lié à une seule entreprise. Une entreprise est en train d’être remplacée à Man pour terminer les hébergements et deux autres pour achever la clôture.
Le seul défi, c’est que le chantier lancé à l’instant N ne perturbe pas le fonctionnement de l’université ouverte à l’instant N-1. Mais ce sont des chantiers que nous menons en continu, liés également à la capacité de financement du gouvernement.
Il s’agit de montants substantiels très importants et donc pour y faire face, nous avons engagé un plaidoyer avec les bailleurs de fonds qui nous ont apporté des réponses positives que nous espérons pouvoir concrétiser en septembre pour financer les universités de San Pedro et Bondoukou sur lesquels les travaux n’ont pas encore démarré.
Par contre, tous les travaux permettant d’aller sur les sites sont en cours. A San Pedro, la route de quatre kilomètres depuis Grand Béreby jusqu’au site est en train d’être construite.
Nous sommes en train d’amener l’eau potable, l’énergie électrique et la fibre optique. Chemin faisant, tout en amenant ces réseaux, nous desservons les quartiers en amont sans compter les villages qui sont en aval qui bénéficieront et de l’eau potable et de l’énergie.
Ce chantier en cours à San Pedro. Nous préparons le même chantier à Bondoukou où les travaux démarrent le prochain trimestre. Nous comptons donc début 2018 démarrer les travaux sur les universités elles-mêmes.
Et à ce propos nous sommes en pourparlers très avancés avec les bailleurs de fonds avec le soutien du gouvernement pour que les travaux de ces deux universités démarrent effectivement début 2018 pour leur ouverture en septembre 2019 ou au plus tard en 2020.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontées avec les retards constatés ?
Il n’y a pas forcément beaucoup de retard parce que quand on parle de développement, il convient d’aller à un rythme qui permet aux acteurs en charge de la mise en œuvre de bien comprendre ce qu’ils font eux-mêmes.
Et là il s’agit de discussions entre les spécialistes que nous engageons, les autorités administratives et politiques locales, les populations pour valider toute la vision de leur université à l’horizon 2020. Ce sont des choses qui se font avec l’inclusion de toutes les parties.
Ensuite il faut trouver les moyens pour réaliser les plans par des appels à des architectes à travers des procédures d’acquisition transparentes. Cinq cabinets d’architectes ont été retenus pour travailler à la conception des travaux des cinq chantiers ?
Quant aux travaux, ils se font par appel d’offres conformément aux règles du code des marchés, ce qui fait que l’on ne peut pas parler de retard. Par contre, là où on peut parler de retard, c’est quand une entreprise doit remettre les travaux au bout de neuf où 10 mois et qu’au bout de six mois on se rend compte qu’elle ne peut pas achever le chantier dans les délais.
En ce moment, sur la base d’un rapport du Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD) on rend compte à la hiérarchie, l’autorité en charge des marchés publics qui prend la décision de rompre le marché.
Peut-on avoir une idée des dépenses engagées et des coûts généraux de tous ces chantiers ?
Le gouvernement a consenti beaucoup d’efforts. On estime entre 70 et 80 milliards de FCFA ce qui a été investi pour les extensions à Korhogo et Daloa, l’ouverture de la première tranche à Man, l’ouverture des voies d’accès aux sites de San Pedro et Bondoukou.
J’y inclus toutes les dépenses de dédommagement des populations, pour l’achat des terrains, la purge des droits coutumiers, le dédommagement des exploitants agricoles.
L’ouverture des premières tranches de San Pedro et Bondoukou tournent autour de 50 milliards pour chaque unité. Dans les trois ou quatre ans à venir, l’Etat doit mobiliser une centaine de milliards.
Et c’est là où nous avons pris notre bâton de pèlerin pour faire un plaidoyer auprès des bailleurs de fonds et les discussions sont bien avancées pour qu’en septembre nous ayons un accord de principe pour le financement pour démarrer les deux chantiers d’ici la fin de l’année ou en début 2018.
Votre satisfaction aujourd’hui c’est l’ouverture de l’université de Man. Après plusieurs spéculations, l’université à ouvert ses portes. Quelles sont les prochaines grandes missions du Programme de Décentralisation des Universités (PDU) ?
Nous travaillons selon les exigences de l’UNESCO qui fixe un certain nombre d’heures de cours pour les étudiants afin de valider les années académiques. C’est ce qui a motivé l’ouverture de l’université de Man le 06 Février dernier.
Il a fallu réaliser un certain nombre d’infrastructure minimum pour permettre cette ouverture. C’est une satisfaction transitoire parce que nous n’avons pas fini. Sur deux amphithéâtres, nous avons pu livrer qu’un seul de même que les salles de travaux dirigés (TD).
Par contre les salles de travaux pratiques (TP) sont en train d’être équipées. Les hébergements ne sont pas finis. , nous avons envoyé une mission aujourd’hui (jeudi 13 juillet) même sur les lieux pour procéder au remplacement de l’entreprise qui a été jugée défaillante.
Nous avons une équipe aujourd’hui qui suit les travaux de la clôture de Man.
On s’est contentés d’avoir ça mais ce n’est pas une satisfaction. On continue de travailler pour améliorer les conditions d’études de nos étudiants. Nos grands défis sont les chantiers de San-Pédro et Bondoukou.
Il s’agit là-bas d’ouvrir des universités capables d’accueillir trois mille (3000) étudiants avec un millier de lits de résidence universitaire.
Juste à titre indicatif, lorsque vous prenez les grandes écoles que l’Etat ivoirien a pu réaliser dans les années 80, l’ENSTP c’est 1500 étudiants, l’INSET c’est 1500 étudiants et aujourd’hui on parle de construire un édifice à San-Pédro pouvant accueillir 3000 étudiants en 3 ans.
Voilà donc le défit auquel nous sommes confrontés. Cela nécessite de mobiliser de moyens matériels humains et financiers. Nous sommes à la tâche. Et avec le plaidoyer du ministère de l’économie et des finances auprès des bailleurs de fond, nous avons bon espoir de pouvoir avoir l’accord de financement de l’un des principaux bailleurs de fonds de la Côte d’Ivoire au mois de septembre avec l’espoir de démarrer les travaux du chantier au plus tard dans le mois de janvier 2018.
Mais nous ne nous arrêtons pas là ! Nous continuons de discuter avec des partenaires privés potentiels qui sont capables d’apporter des financements à la Côte d’Ivoire et réaliser ces travaux. Comme vous le savez ce sont des financements de type privés qui sont plus chers que ceux consentis par les bailleurs de fonds.
Nous continuons de discuter avec les partenaires privés pour essayer d’avoir à des financements de types innovants capable d’être acceptés par le service de la dette publique du gouvernement ivoirien de sorte qu’on puisse tendre vers des taux concessionnels. Parce que les taux privés sont plus élevés que ceux des bailleurs de fond.
Nous essayons plusieurs pistes qui aujourd’hui sont en bonne voie pour qu’en septembre au plus tard on puisse avoir un accord pour démarrer et San-Pédro et Bondoukou.
C’est votre priorité ?
Dans la deuxième vague des universités que l’Etat se propose de construire après 2020, vous avez Abengourou, Daoukro, Odienné et Dabou ; pour lesquelles nous n’avons pas attendu non plus. Nous avons entamé les discutions avec les autorités préfectorales qui ont mobilisé la population à l’effet d’indiquer des sites pour accueillir lesdites universités.
Les choix ont été faits pour la plupart des villes et nous sommes entrain de sécuriser les terrains de sorte qu’en 2020 quand nous allons démarrer, les terrains seront immatriculés au nom de l’Etat et on pourra engager toutes les études et toutes les interventions.
Nous sommes donc dans un programme de planification en fonction du budget de l’Etat ou des partenaires privés ou public, on lance les tranches au fur et à mesure.
Aujourd’hui, on est confrontés à un nouveau concept qu’on n’avait forcement pas l’habitude d’entendre. Il s’agit des villes universitaires. L’Etat envisage en créer à Adiaké. Concrètement qu’est ce qu’une ville universitaire pour la Côte d’Ivoire ?
Une Université c’est d’abord un pôle d’enseignement supérieur. Déjà quand vous voyez nos universités ce sont de petites villes avec à l’intérieur des centres de commerce, des boutiques, toute sorte d’activités qui permet au campus de vivre.
Une ville universitaire est une ville abritant une université et qui tient une place importante dans la ville où elle est située. Elle est généralement classée selon les offres de formation, la vie estudiantine, les sorties pour les étudiants, l’offre d’emploi, les transports, l’offre culturelle, le logement et l’environnement
La future, Celle d’Adiaké qui sera bâtie sur une superficie de 3000 hectares, occupe le terrain le plus grand. On a greffés une zone de mangrove qui donne directement sur la lagune.
Deuxièmement, il s’agit d’y enseigner un certain nombre de cours notamment les nanotechnologies, les sciences de sports de haut niveau, les arts cinématographiques… qui sont des activités qui vont permettre non seulement à cette zone de bénéficier d’infrastructures importantes avec un fil conducteur qui est le tourisme.
C’est-à-dire que chaque UFR composée d’amphithéâtres, salles de TD, de logements etc. aura une zone d’UFR, une parcelle de terrain qui sera mise à disposition des privés. Ces derniers vont s’installer dans le cadre d’accord avec le gouvernement pour développer leurs activités en lien avec les cours enseignés dans les unités de formation et de recherche (UFR).
Par exemple dans la faculté des sports de haut niveau, de grands groupes dans le domaine du sport pourront s’installer pour développer des produits avec un champ d’application qui sera l’UFR des sciences de sport de haut niveau, pareil pour les arts cinématographies où les élites du cinéma pourront faire leur stage.
L’idée de cette université c’est quoi ?
Vous avez une zone privée occupée par le secteur privé avec des familles, vous avez l’enseignement supérieur avec des étudiants et des enseignants donc des familles. Il va s’en dire qu’à termes on aura besoin d’une école maternelle, une école primaire et secondaire, d’un centre de police, d’une banque…
Pour nous, il n’est pas question de construire l’université d’un seul tenant, cela n’a pas de sens. Nous allons construire UFR par UFR. Par exemple, commençant par l’UFR des sciences cinématographiques, on construit les deux amphithéâtres, tous les bâtiments de TD qu’il faut…et on laisse une zone attenante disponible au privé.
Il s’installe et développe son activité en lien avec le cours qui est enseigné. Dans trois, quatre ou cinq ans, on verra comment ça se développe, on prendra une autre UFR ainsi de suite. Tout cela se fait dans un plan général qui est pensé d’avance. D’où l’idée de programmation.
Toutes ces universités qui naissent ont des termes particuliers de formations. Comment cela a-t-il été pensé ?
Ce sont des décisions prises par le gouvernement que nous mettons en œuvre. Il s’agira d’attirer la jeunesse ivoirienne vers ces universités pour aller dans ces nouveaux métiers qui vont créer de nombreux emplois en Côte d’Ivoire.
Chaque université a une vocation thématique principale de formation. A Korhogo, on va y enseigner principalement l’agropastorale, à Daloa c’est l’agroforesterie, à Man c’est la géologie, les mines les matériaux, l’agriculture, à San-Pédro c’est la construction navale, les ressources halieutiques, le génie civile, à Bondoukou c’est la littérature, les arts et lettres, l’architecture.
Chaque université a une sorte de spécialisation sans forcement l’empêcher de faire les cours traditionnels en Licence 1,2 et 3. En Master 1 et 2, on va avec la formation en lien avec les thématiques spécifiques de cette université.
Le fait de parler de ces projets universitaires que l’Etat met en œuvre, permet de comprendre qu’il y a un programme pour permettre à sa jeunesse de prédisposer à aller faire des études supérieures qui débouchent sur un emploi mais surtout de ne pas faire une grande distance pour se former en restant proche de sa région.